Table-ronde "Création, technologies et démocratie culturelle"

Table-ronde "Création, technologies et démocratie culturelle"

Avec Jean Boillot, directeur du NEST-CDN Thionville-Grand Est (2010-2019), metteur en scène, directeur artistique de la cie La Spirale, directeur artistique de Villa Mosellane, Centre des Nouvelles Écritures Européennes en préfiguration, Samuel Arnoux, directeur du Festival Maintenant / Electroni[k], Pôle régional de création en environnement numérique, co-président du réseau HACNUM. Animation : Anne Le Gall, déléguée générale, TMNlab

Anne

Donc, merci à vous deux d’être avec nous ce matin sur cette question extrêmement vaste et on a eu l’occasion d’en débattre.

Création, technologie, démocratie culturelle.

En préparant cette rencontre, pour nous, il apparaissait essentiel, à la suite de l’ouverture qu’on vous a proposée, de commencer autour de cette question qui vient croiser les sujets de transformation, mais qui vient aussi croiser les sujets de politique culturelle.

Pour nous, ces enjeux de transformation de vie qu’on a traversés en ouverture viennent poser des questions, effectivement, sur les formes, les formes de création.

L’hybridation vient interroger la question des silos aussi, entre les formes, et d’ailleurs, en étant aujourd’hui avec le théâtre, mais aussi les arts numériques, on vient le refléter.

Et puis, on a beaucoup entendu, beaucoup, beaucoup entendu, que le numérique était un espace pour toucher les nouveaux publics.

Souvent pour renouveler les publics, vis-à-vis de cette idée de renouvellement, qui est parfois un remplacement qui nous interroge, mais en tout cas, une injonction au numérique pour renouveler.

Qu’on souhaite aussi interroger ensemble, pour chercher un chemin qui soit un chemin davantage situé, peut-être, qui parte de vos expériences et de vos interrogations aujourd’hui.

Pour démarrer, lançons-nous dans le sujet.

Je vais prendre une de mes petites questions, nous avons bien travaillé ensemble, et nous avons également travaillé avec chaque génété, pour voir quand même, vous pouvez nous accompagner sur la structuration de cette table ronde.

On avait envie d’ouvrir d’abord sur ces questions de votre témoignage, d’où vous venez, on va aller d’un côté à l’autre, sur comment la manière des artistes et des institutions que vous représentez, que vous allez représenter, s’emparent de ces questions numériques.

Où est-ce que ça vient transformer, entre outils et sujets, de votre point de vue d’observateur ?

Est-ce que Samuel, tu peux ouvrir ?

Samuel

Bonjour à tous, merci pour l’invitation.

Déjà, ravi d’être présent.

Un tout petit préambule, peut-être, pour vous dire que, de là où je parle, je suis un peu moins spectaculièrement, stricto sensu, que ne l’est le cœur du réseau TNL Labs, donc je vais avoir un point d’un tout petit peu décalé des entrées, mais en tout cas, je l’espère.

Sujets ou outils, les deux vont capitaines, forcément, et j’en rajouterais même un troisième mot dans le triptyque, qui serait les cultures numériques, parce que c’est aussi une mesure culturelle très forte dans les pratiques, là des publics, mais aussi dans l’habitude culturelle des artistes, donc dans le pan numérique dans lequel on vit tous maintenant.

De là où on vient, nous électroniques, on vient d’un rencontre entre le son et l’image.

Le festival est né autour de cette relation-là, il y a 25 ans, et de cette rencontre, on va dire, a démarré, ou a démarré.

C’est poursuivi, une histoire de libraisation entre les esthétiques et les disciplines.

Je pense qu’on a voulu nous suivre, accompagner les artistes, un peu l’explorateur, l’exploratrice de ces nouveaux outils, un peu le hacker, pour les détourner, pour voir comment est-ce que, en rentrant dans le capot de ces outils-là, on pouvait les transformer en des fins créatives, et essayer d’amener une dimension sensible, poétique, réflexive sur les outils, et du coup, comment ça interroge la création, la société, etc.

Forcément, plein d’autres trucs à dire après, mais je vais le faire.

Évidemment, et un point qui nous intéressait aussi, c’est ce rapport à la notion de territoire numérique, d’action culturelle en environnement numérique, qui est aussi un axe très fort dans le projet d’Electronica.

Si tu peux nous en dire un mot.

Oui, tout à fait.

Pour vous faire un petit peu d’histoire de notre événement, on est nés autour des années 2000, avec tout ce que je vous racontais, d’exploration entre la relation sur l’image.

On a assez vite rencontré un certain succès d’estime auprès de notre communauté.

Et on s’est rendu compte, au bout de dix ans, qu’on était un peu un festival de geeks, fait par des geeks, pour des geeks, pour le dire assez vite.

Et on s’est dit que c’était quand même bien d’essayer de sortir de ce prisme-là et d’aller beaucoup plus rencontrer les publics.

Et donc, du coup, on a eu une volonté d’être très volontariste sur la dimension publique que d’action culturelle, etc.

Et donc, on a mis en place tout un tas de dispositifs et de projets.

Et là, pour le coup, très situés, très dans les territoires, pour tous les types de publics.

Et aujourd’hui, on essaye, en tout cas, de proposer des projets, depuis le tréminage jusqu’au senior, et dans tous les types de territoires, dans les lignes de moyen, évidemment, et aussi sur les territoires numériques, même si on le fait avec les manières qu’on peut, parce que c’est un nouveau territoire.

C’est un territoire très vaste, un territoire numérique.

C’est un espace social très complexe.

Et contrairement à un espace public, c’est un espace privé.

Donc il y a d’autres règles, privées majoritairement dans les usages, j’entends.

On va y revenir aussi, parce que là, du coup, ça vient percuter fort, la question de démocratie, de démocratisation culturelle, la question de… d’électronisme dont tu parlais ce matin.

Mais néanmoins, pareil, en préambule, en préparant la table ronde, je réalisais que même si les chiffres ne sont pas tout à fait au courant toujours, la proportion de la population de plus de 15 ans en France qui possède un smartphone, pas qu’un téléphone, un smartphone, selon les statistiques, varient entre 77 et 86%.

Forcément, et quand on met ça en regard avec la part d’électronisme dont tu parlais, la question des usages qui sont des fois pas forcément experts, même des fois des gens qui se sentent pas en difficulté avec ces usages, néanmoins, ils ont un smartphone.

Et du coup, là, il y a une ambivalence, il y a une question qui se pose.

Et du coup, nous, on se dit, évidemment, ce n’est qu’un outil, ce n’est qu’une des portes d’entrée, mais en tout cas, il y a quelque chose forcément qui doit se jouer là aussi.

En tout cas, on ne peut pas ne pas se poser la question de ce territoire.

Anne

Oui, la question de l’objet smartphone.

D’ailleurs, si on regarde les plus jeunes, on a des taux en pourcentage qui dépassent les 85-90% sur certains stades de population.

Donc, tu le dis très bien.

Et en fait, on voit bien que là arrive un sujet de comment ça devient un objet de l’intime et un objet de la relation à la culture pour ces publics-là.

Donc, ça nous interroge.

Mais aussi, effectivement, ce qui fait bien avec le sujet des compétences, c’est qu’en fait, par essence, les smartphones, ils sont conçus pour ne pas avoir besoin de réfléchir à la compétence pour les utiliser.

Et donc, ce sont aussi des vecteurs d’enfermement.

Et là, ça peut être une question de comment on s’émancipe de cette injonction-là de ne pas avoir besoin d’apprendre.

Samuel

Et c’est l’un de nos sujets, je trouve, passionnants, de comment est-ce que, à travers le travail des artistes et leur création, comment est-ce qu’on efface la transparence des technologies, le fait qu’on ne se rend pas compte, qu’on ne baigne dans ce plan numérique, que du coup, il y a de l’algorithme à tous les étages, qu’il y a tout ce qui se passe derrière le capot dont je parlais tout à l’heure.

C’est pratique un peu du hacking, en tout cas.

Moi, je le trouve très intéressant de ce point de vue-là parce qu’elles viennent nous confronter à ce moteur, quoi.

Et puis, le moteur, derrière, souvent, est le porteur d’idéologie.

Et du coup, c’est pas du tout neutre.

Anne

Absolument, et on y reviendra.

Merci, Samuel.

Et toi, Jean, comment, dans ta pratique, justement, de ta pratique d’artiste, mais aussi tes rôles en tant que directeur d’institution et là, sur une préfiguration d’un nouveau projet, comment cette question du numérique est arrivée et comment tu l’as traitée, comment tu l’as explorée et comment tu l’explores encore aujourd’hui ?

Jean

Bonjour à tous.

Merci de l’invitation.

Ravi vraiment très honoré, même, de faire partie de cette journée chez l’OTNM.

Moi, je suis un mec de théâtre.

J’ai grandi un peu sous l’égide, d’ailleurs, que porte cette maison du théâtre national et populaire avec cette idée que le théâtre était un lieu de rassemblement des différences et que je suis d’autant plus touché que nous sommes donc à Chaleaux, au Théâtre national de la France, anciennement le TNP, avec un jeu de mots que j’ai entendu lors d’une réunion à SVSN qui a déjà été hackée dans son acronyme, puisque pour Jean-François Perret, TNP, c’est le théâtre numérique populaire.

Je trouvais que ce glissement-là était, par rapport à notre sujet, plutôt intéressant.

Je viens du théâtre, et les gens de théâtre ne sont pas réputés pour être des technophiles fervents.

Au contraire, et c’est un peu paradoxal, parce que le théâtre est tout le temps affrayé avec la technique.

On parlait des Grecs tantôt, on sait que les machineries grecques étaient présentes, on parlait aussi du théâtre à l’italien dans les présentations qui ont été faites, des nouvelles éditions.

Indéniablement, les gens de théâtre aiment bien la technologie.

Mais, encore plus aujourd’hui qu’hier, il y a eu une défiance.

Et cette défiance a été cristallisée.

Moi, ça m’a frappé.

C’est un très bel article, d’ailleurs, d’un article dans Le Monde de Fabienne Darge, qui réunissait plusieurs figures féminines de la jeune création théâtrale, réunies sous le terme « performance », qu’elle redéfinissait un peu différemment que les années 60.

Mais enfin, l’idée de mettre en scène son corps avec son identité devant un vrai public.

Et je me rappelle de ce commentaire, qui réunissait un peu chacune des intervenantes, c’était « une manière de résister contre la virtualisation du monde ».

Tout ça pour dire que le théâtre aujourd’hui, je pense que c’est quand même assez présent dans l’état d’esprit des gens d’où je viens et avec qui je travaille.

C’est plutôt, effectivement, un endroit qui refuse une certaine idée de la technique et des possibilités.

Maintenant, son histoire aussi s’est élargie.

Elle s’est élargie notamment…

Enfin, on a vu au début des vingtièmes les énormes travaux qui ont été faits, justement, pour…

Alors, on n’avait pas eu le terme tout à l’heure « augmenter », apparemment, il faut qu’on le bannisse.

Mais en tout cas, l’air, je me suis fait bien content de savoir pourquoi, parce que c’est assez pratique.

En tout cas, le théâtre augmenté par des écrans, avec les Allemands, avec Piscator, c’est quelque chose qui s’est fait.

Et puis ça s’est vraiment déroulé, voilà.

Moi, j’ai grandi un peu dans cette idée-là que le théâtre était pour tous, que la technique était là pour être déconstruite, pour empêcher les nouvelles illusions d’arriver, d’avoir des sujets vraiment franchement politiques et directement dans un dialogue avec des gens réunis dans la différence en face de moi.

Et puis, voilà, arrive le Covid.

Je vais en parler un petit peu parce que je pense que le Covid, c’est un moment pour moi, et je pense qu’il y a beaucoup de ces gens qui sont extrêmement importants.

Puisque d’un côté, on avait un horizon bouché, c’est-à-dire que le théâtre était fermé, on n’avait plus le droit de répéter, on n’avait encore moins le droit de jouer, ou alors sous vraiment énormément de limites.

Et pour ne pas s’ennuyer, un certain nombre d’entre nous, dont je fais partie, ont fait des expériences à partir des outils numériques qui nous étaient donnés.

Et là, il y a eu une acculturation qui s’est vraiment, véritablement accélérée.

On a vu des choses assez délirantes du théâtre avec WhatsApp par exemple, sur des formats où on utilisait Zoom.

On a vu Zoom se transformer très rapidement, du théâtre distanciel, et on a vu plein de choses, plein de tentatives qui racontaient une vraie vitalité.

Pour notre part, on a développé des choses qui étaient des lectures, avec plein de metteurs en scène et d’acteurs et d’auteurs, de nouveaux textes de théâtre par le biais de Zoom, ou en tout cas la technologie qui était préalable.

Et ce dont on s’est rendu compte, c’est que les écritures n’étaient pas adéquates avec ces formats-là.

Donc voilà, tout ça pour séparer de ta question.

Je pense que nous avons un besoin, et on s’en est rendu compte, ces espaces augmentés sur des espaces intéressants, dès lors qu’il se passe quelque chose qui se fait de l’ordre du théâtre, c’est-à-dire une rencontre fragile autour d’un dialogue qui mélange le vrai et le faux, cette expérience théâtrale-là.

Il faut des écritures qui soient adaptées, et en ce sens, il faut un grand moment d’acculturation.

Donc voilà, j’ai commencé à réfléchir, après la COVID, à essayer de trouver des moyens de faire se rencontrer des gens qui venaient à la fois du théâtre conventionnel, présent dans un espace, et des gens qui venaient du numérique, des auteurs.

Et on s’est auto-acculturé.

Et à partir de là, s’est produit des choses formidables.

Anne

Merci.

Effectivement, les sujets que tu soulèves, on a commencé à les toucher du doigt ce matin, et on les expliquera aussi dans notre table aujourd’hui.

Ça pose effectivement des questions de nouvelles formes d’écriture et de dramaturgie qui sont adaptées.

On a parlé ce matin de transmédias.

Il y a aussi d’autres manières de s’approprier ces questions-là.

Ça va poser aussi des questions de niveau collectif de travail, parce qu’effectivement, on a parlé déjà de rapports technophiles ou technophobes à la technologie.

À partir de là, pour pouvoir avancer, il y a un enjeu d’acculturation et de formation.

Et en même temps, la complexité de ces environnements nécessite surtout de faire le collectif pour pouvoir travailler autrement, parce que tu vas travailler aussi au sein de ton laboratoire.

Derrière tout ça, ça pose aussi des questions de comment cette transformation numérique est portée politiquement, et comment elle est portée, elle est vue, et donc intégrée, notamment dans sa dimension de fait sociétale, par des établissements, mais aussi plus généralement par un secteur.

Aujourd’hui, comment vous voyez ce mouvement-là ?

Ça le mène avec le pôle autour de la création d’environnement numérique.

Évidemment, tu es au cœur, à l’endroit de la création de ces questions.

On a pu en échange, on a pu en parler aussi.

Comment vous voyez se structurer cette question comme un axe porteur pour la politique culturelle, pour notamment les établissements ?

Samuel

Je me lance.

Dans le temps, je dirais que moi, c’est structuré dans le temps.

Oui, on peut refaire un petit…

Non, mais parce que j’ai l’impression que ce sujet-là, comme dans le secteur culturel, comme dans la société, je suis un peu un poncif, mais forcément, il a pénétré de plus en plus dans nos pratiques artistiques, professionnelles, dans nos pratiques de relations avec le public.

C’est, encore une fois, un fait social total aujourd’hui, et c’est devenu un sujet, en tout cas une pratique de travail, un usage à tous les échelles de nos organisations, et du coup, vous ne pouvez plus l’ignorer.

Et souvent, il est resté quand même une forme d’impensé dans nos pratiques.

Et c’était, dans l’étape de la création, souvent un point de rencontre, de trajectoire d’artiste, de trajectoire de la création, d’artiste qui venait de disciplines, de fameux silos très situés, très balisés dans les politiques publiques.

Une fois qu’il y a eu cette dérive, que les artistes avaient un peu dérivé dans leur chemin de création, avec du numérique, et que les créations qu’ils proposaient n’étaient plus tout à fait ancrées dans leurs pratiques d’origine, on se rendait bien compte qu’on avait du mal à trouver des financements, par contre, pour ces nouvelles formes de création.

Ça a été, nous, pas mal de discussions avec nos partenaires publics, de se dire, comment est-ce qu’on peut trouver des moyens pour financer ce type de création, parce que c’est plus tout à fait juste et agréablement, c’est pas tout à fait de l’art visuel, c’est pas tout à fait numérique, etc.

Nous, on s’est ingéniés à essayer de trouver des chemins et de prendre en compte.

Là, on est très contents, du coup, que la DGCA ait cette expérimentation sur cinq pôles régionaux, avec la mission, pour nous, de, justement, fédérer ces écosystèmes.

En gros, le constat qu’on portait, c’est de se dire, le numérique étant un fait total, partagé, on a ça en commun, en fait.

Et là, du coup, pensons différemment de nos silos d’origine, parce qu’on peut parler de ça ensemble, et on peut travailler ensemble, et on peut collaborer ensemble.

Nous, il y a des créations qu’on a portées aussi bien avec des structuralistes métallurgistes et des arts visuels, en même temps, autour d’un même projet.

Mais du coup, forcément, c’est un peu hybride dans la façon de travailler aussi.

Et du coup, la DGCA nous a aussi entendu, en tout cas, conforté dans ce rôle-là, dire, ok, on vous fait confiance, on vous soutient dans votre rôle de structuration de cet écosystème en région.

Donc, allez-y, réunissez les architecteurs, faites-le et travaillez ensemble pour mieux créer, mieux accompagner la création et la diffusion de ces formes-là.

Parce que souvent, je vais vous finir, pardon, mais quand on est sur ces formes-là, ça pressionne aussi, et jusqu’à nos lieux.

Physiquement, je veux dire, une salle de théâtre, une salle d’exposition, forcément, elle impose d’avoir certaines formes.

Alors, les formes, des fois, ne vont plus tout à fait ou différemment dans ces lieux-là.

Donc, ça vient percuter tout ça.

Anne

Intéressant, la question de la forme du lieu, effectivement.

Sachant que, par essence, le spectacle vivant a toujours été très mobile et nomade dans des espaces extrêmement variés.

Mais, en même temps, l’institutionnalisation crée aussi des lieux dessinés à des usages, et donc limite cette transformation qui, aujourd’hui, est une transformation de fait.

Ce n’est même pas une question d’appeler ces lieux ou quoi que ce soit.

C’est une transformation de fait, des pratiques tant culturelles que de création des artistes.

Et justement, par exemple, Jean, sur le projet de préfiguration de la Villa Mosellane, et plus généralement dans ta vision, toi, aujourd’hui, comment cette question se construit, et comment ce rôle, justement, structurant, dans lesquels on parle comme la Villa Mosellane, qu’est-ce que tu en imagines, dans cette époque dominée, qu’elle peut être, qu’elle doit être, le rôle d’une institution comme celle-là ?

Jean

Alors, la Villa Mosellane, c’est un projet de centre de nouvelles écritures européennes, c’est-à-dire qu’on réfléchit sur qu’est-ce que c’est que ces nouvelles formes, ces nouvelles écritures.

Encore une fois, je viens du théâtre.

J’insiste beaucoup là-dessus.

Je ne me suis pas échappé de la notion de silo me concernant, parce que je considère que ce qu’on fait, nous, au sein de La Spirale, au sein de Villa Mosellane, c’est l’idée d’une dimension forcément théâtrale, avec d’autres choses qui rentrent en ligne de compte, qui est l’interaction, la participation, le déplacement de la question du public.

Si j’ai fait Villa Mosellane et si je le projette, c’est un projet en réfiguration, en partenariat avec le département de la Moselle, c’est suffisamment étonnant, par ces temps de crise, de souligner qu’il y a parfois des collectivités locales qui misent sur des nouveaux établissements, et c’est le cas, en tout cas, d’abord en Moselle.

C’est parce que j’ai pu constater qu’il y avait peut-être une sorte d’immaturité, comment le dire autrement, dans les centres dramatiques, tels qu’ils étaient fagotés aujourd’hui, et tels que l’établissement des dialogues avec les collectivités locales, avec l’État, et puis avec les équipes aussi, était fait.

Il y avait indéniablement un problème de formation en interne.

Je sais qu’il y a beaucoup de lieux qui ont déjà, et les opéras en particulier, étaient assez nouveaux là-dessus, expérimentés, les fameuses troisième salles, ces salles où on peut faire peut-être quelque chose en distanciel, voire en virtuel, une chose que j’ai beaucoup rêvé de faire au sein du centre dramatique de Turbine, mais je me suis rendu compte que les moyens, le temps, la maturité, n’étaient pas encore prêtes.

Voilà, donc, sortant de ce centre dramatique, boum, le Covid, boum, la création de ce laboratoire de formes un petit peu différentes, de nouvelles dramaturgies, et du coup, je me suis dit qu’il fallait effectivement se doter des moyens pour les artistes, en réseau, et ça, je crois que c’est un élément extrêmement important, c’est très rapidement qu’on est dans un moment de grande créativité, de grand déplacement.

On ne sait plus trop où on habite, tous.

Moi, je ne sais plus trop où j’habite sur le plan des formes.

Je ne sais plus si je veux travailler dans des salles ou à l’extérieur, je ne sais plus si ce qui m’intéresse, c’est l’art de l’acteur ou bien c’est l’art de démouvoir et de déplacer les spectateurs.

Les écritures sont complexes, ça nécessite du temps, et c’est pourquoi, effectivement, ce que j’y ai imaginé autour de Villa Mosellane, c’est un bâtiment qui permette de l’acculturation, justement pour faire se rencontrer des auteurs de différentes cultures, théâtre numérique, jeux vidéo, et puis dans un deuxième temps autre chose, des temps de résidence accompagnés, et ces fameuses collaborations à plusieurs mains, c’est une nouvelle dimension des écritures que nous, en théâtre, on connaît mal.

En théâtre, c’est plutôt, enfin, depuis, finalement, depuis pas si longtemps que ça, le XXe siècle, ça a été à un moment donné l’auteur Roy, c’était le gars qui signait le truc.

Aujourd’hui, les écritures multimédias, les écritures hybrides, nécessitent des compétences, des savoir-faire.

On doit se faire se rencontrer les gens, et ça prend du temps.

Là, c’est effectivement ce qui me paraît très important d’un point de vue de création, c’est de ne pas penser que parce qu’on change très très vite les choses, parce que le monde s’est accéléré, la création, elle, ne nécessite pas du temps.

Et c’est certainement la responsabilité de l’institution de garantir à ses artistes, et pour ses nouvelles formes, pour ses nouveaux formats, du temps et des moyens.

Anne

Ça me fait penser à des échanges qu’on a pu avoir sur le laboratoire attentionnel comme rôle pour les institutions culturelles, pour les artistes, mais aussi pour les publics, la question du rapport au temps et comment on prend le temps de comprendre, pour inventer, imaginer, travailler ensemble.

J’aimerais revenir sur la question des publics.

On a parlé par exemple du rapport au smartphone et comment ça peut être un point d’entrée de dialogue avec les publics.

Ce matin, on a évoqué aussi les pratiques culturelles et les pratiques artistiques qui peuvent être des publics ou des publics à la lisière professionnelle et amateur.

Comment ces questions-là viennent interroger aussi votre travail ?

En gros, dans une institution, aujourd’hui et demain, comment on peut concevoir un projet d’établissement qui intègre ces questions-là ?

Aujourd’hui, peut-être, si c’est une question encore difficile, quels seraient les freins ou quels sont les endroits d’exploration ?

Parce qu’en tout cas, on parle beaucoup du numérique comme une capacité à toucher les nouveaux publics choisis en introduction, à renouveler probablement le type de relation avec les publics et peut-être des nouvelles formes de dialogue.

Donc, qu’est-ce que ça vous évoque, cette question-là ?

Samuel

Moi, ça m’évoque surtout la question du continuum des publics parce qu’il n’y a pas, à mon sens, de…

Ce qui apporte le numérique, ce qui bouleverse le numérique dans la société au global, c’est l’abolition de certaines frontières.

Tu parlais de la figure de l’artiste roi ou de l’artiste reine.

Effectivement, ce que tu viens de me dire était éclairant de ce côté-là.

La création aujourd’hui est beaucoup plus horizontale.

Le rapport qu’on a dans nos sociétés, les hiérarchies se tendent, à travers le numérique, à s’horizontaliser.

Et la question de qui est expert des usages numériques…

Des fois, les publics sont davantage que nous, pour une partie d’entre eux.

Pour d’autres, pas du tout.

Et du coup, dans l’approche du public, il faut avoir cette conscience de ce continuum aussi.

On est moins dans une relation frontale avec le public.

Évidemment, quand on est sur une scène devant un public, on est dans une relation très frontale.

Dans la façon dont nous, on les pense, on fait partie de ce continuum-là.

Et du coup, selon les projets qu’on va mener, on va essayer de se poser la question de où est-ce qu’ils partent eux aussi ?

Où est-ce qu’on se situe chacun d’entre nous dans ce continuum-là ?

On essaie de trouver à chaque fois la bonne…

À chaque fois, on essaie de réaliser la bonne posture, la bonne distance ou intégration de chacun d’entre nous dans le projet.

Jean

En tout cas, deux choses.

La première chose, c’est que ces hybridations spectacle-vivant-numérique, effectivement, par le fait que le numérique est une nouvelle culture populaire et que nos arts de spectacle ont su quotidiennement, à des moments clés de leur vie, intégrer les nouvelles formes populaires pour aller devant de nouveaux publics, moi, à mon endroit, je peux constater que ça fonctionne.

C’est-à-dire que le fait de mettre des smartphones dans les mains des spectateurs, fait que, oui, les jeunes sont beaucoup plus intéressés sur la question théâtrale.

Le fait de pouvoir appuyer sur des boutons totalement, ça renouvelle complètement leur image, l’image un peu poussiéreuse qu’ils avaient du théâtre.

Le fait qu’ils soient amenés à jouer au même titre qu’une actrice ou un acteur côte à côte, là aussi, ça renouvelle quelque chose.

Donc je trouve ça…

Comment faire pour continuer à développer ces sortes de formes interactives sur la question des plateaux ?

En fait, la question est très ouverte, très complexe.

Samuel

Pour peut-être partir d’un exemple, on l’a évoqué quand on a préparé la table longue, je voulais juste vous partager une expérience qu’on a eue de ce que ça vient, en tout cas chez nous, percuter et amener comme réflexion.

Pendant le Covid, ici, on a compagnié un projet qui était assez hybride.

C’était à la fois une exposition, à la fois une forme informative, et plus le Covid arrive, donc les artistes ne peuvent pas se rencontrer pour créer ensemble.

Ils se disent qu’à cette année, on va aller sur Twitch, on va échanger sur Twitch.

Et je trouve que forcément, c’est une plateforme collaborative, donc les gens commencent à s’intéresser et coïter ce forme autour des artistes en train de créer.

Du coup, ça échange, ça devient idéatif, c’est assez chouette, comme petit moment de bulle hors du temps.

Sauf que du coup, ils ont intégré cette communauté dans leur création, ce qui a produit des choses assez réveillées, puisque la performance intègre le fil de Twitch en temps réel, et donc les internautes qui sont derrière leur écran peuvent influer directement sur les lignes de commande qui ont été dédiées pour qu’ils puissent interagir avec ce qui se passe dans le lieu.

On a vu des gens, à priori, des communautés-là, qui projettent des performances dans des scènes arènes, et on a vu arriver des gens qui, à priori, n’étaient pas les publics de base dans ces scènes, qui découvraient le lieu très clairement, et ils nous restaient bien là.

C’était un peu étonnant qu’ils aient eu le plus sur Twitch sur la performance de ces scènes.

Du coup, on est très content.

C’est super, on est vraiment contre les publics.

Et puis après, on s’est posé la question de l’inverse, parce qu’on a aussi d’autres gens qui n’étaient pas sur Twitch et qui y sont allés.

C’est intéressant, mais Twitch c’est Jeff Bezos, c’est aussi Amazon, et du coup, le revêtement de la médaille, ça veut dire qu’on a envoyé des clients à Jeff Bezos.

Moins fan.

Du coup, il y a toujours les deux dimensions qui se posent un peu.

Anne

Je vois beaucoup de questions à relancer là-dedans, mais tu disais tout à l’heure, les territoires numériques ne sont pas des places publiques, pas comme les espaces publics physiques, et ça nous interroge aussi en tant que responsabilité.

Et on est partagé entre des espaces qui peuvent être construits de manière plus coopérative, certains fonctionnant, mais la plupart, on a un sujet d’usage.

En fait, il y a-t-il des usages dans ces espaces ?

S’il n’y a pas d’usages dans ces espaces, on peut y aller, mais en fait, il n’y aura pas de rencontres qui se feront, et ça pose beaucoup de questions en termes de responsabilité.

Et en même temps, c’est une observation des pratiques des publics, et donc ce cursus est vraiment une interrogation collective au sein d’une organisation ou d’une compagnie qui crée un projet pour prendre la décision en termes de positionnement.

Tu voulais rebondir, Jean ?

Jean

Oui, je pense que l’une des stratégies pour nos institutions consiste à s’élargir.

Les formes nouvelles arrivent, mais je trouve que c’est une opportunité formidable de croiser les publics.

C’est un peu le terme de croiser les publics.

Beaucoup de gens commencent à…

Le terme public, au sens universaliste du terme, a un peu disparu.

Le public, au sens où coexistent les différences.

Mais moi, je l’aime bien.

Et je trouve que ces formes hybrides permettent ça.

C’est-à-dire, dans un théâtre en particulier, les gens qui viennent au CCN et qui sont des habitués du CCN et qui retrouvent, notamment, des gens qui ne sont pas du tout habitués du spectacle vivant et de la danse contemporaine, croisent des gens qui sont plus du côté du numérique.

Je trouve que c’est vraiment vertueux.

Et cette notion de démocratie, elle est à l’œuvre, à cet endroit-là.

Ressentir ensemble, dans la différence.

Dans la différence de nos parcours, de nos cultures, de nos sensibilités.

Je trouve que c’est même absolument essentiel.

Par contre, ce qui est compliqué, je trouve, aujourd’hui, en tout cas, c’est certainement un des enjeux.

Je parlais tout à l’heure du Covid.

Je parlais de cette effervescence, de l’inventivité.

Alors, il y a eu bien sûr des choses qui se sont faites avant, et pas qu’un peu.

Mais néanmoins, force est de constater que des artistes se sont empoignés du Covid.

Pendant le Covid, ça a été mon cas, de nouveaux outils.

Et que du coup, ils ont généré plein de trucs.

Et générant plein de trucs, ils ont créé des environnements numériques particuliers, des environnements artistiques particuliers, qui sont autant de formats.

Autant de formats, qu’une fois que la création est réalisée, diffusée, dans la plupart des cas, ces formats tombent.

Ces formats n’existent plus.

Je parlais tout à l’heure d’un travail de Benjamin Habitant, qu’on connaît du côté de la radiophonie, réalisateur à France Culture, qui a fait une proposition, certes maladroite, mais passionnante, de théâtre sur WhatsApp.

Pouf !

C’est tombé.

Ça n’existe plus.

Et je crois donc qu’il y a quelque chose de très important, et sur lequel moi, je travaille au niveau de l’écriture, c’est d’essayer de stabiliser un certain nombre de formats, de sensibiliser les artistes autour de ces formats, pour qu’ils puissent, dans un deuxième temps, pouvoir écrire des grands poèmes qui vont dépasser, interroger la forme.

Ça, c’est pour moi quelque chose de très important.

Le théâtre est un format, finalement.

C’est un format qui a plusieurs centaines de millénaires.

Il a eu différents rapports.

Mais c’est vrai qu’on a eu le temps d’expérimenter, de creuser, d’aller chercher des poétiques particulières.

Et ça, je trouve que c’est un enjeu qu’on a aujourd’hui.

Comment on va dégager des formats ?

Comment on va leur donner des places dans les institutions ?

Comment ces théâtres en dur, qui sont faits frontalement, alors qu’on avait bien dit, peut-être pas ici d’ailleurs, qu’il fallait faire des black-box, qu’il fallait faire des trucs qui puissent bouger, se déplacer, être configurés différemment, sont des prescripteurs de formes qui, aujourd’hui, sont un peu obsolètes, qu’il va falloir imaginer d’autres formes.

Ça, je n’ai pas de solution.

Mais en tout cas, c’est une vraie question qui se pose si on veut encore bénéficier, justement, de cette démocratisation que nous offre, paradoxalement, le numérique.

Anne

Sur les formats et sur la question de l’obsolescence, ça me fait penser au travail qu’Hacnum menait aussi, parce qu’on n’est pas tout à fait sur la même chose, mais vous avez beaucoup travaillé sur les formes d’un numérique et en quoi ces formes ont un sujet autour de l’obsolescence.

Comment on travaille, en termes de structuration, pour aider à mettre en place des choses qui assurent une pérennité, une transmission, et donc une capacité, comme Jean le souligne, de continuer à creuser un format et d’aller plus loin ?

Est-ce que, au sein d’Hacnum, comme pôle, c’est une de vos ambitions ?

Samuel

En tout cas, c’est une des autres ambitions, clairement.

Pour appeler les cours et les pôles, je pense.

Comme je le disais tout à l’heure, pour l’instant, ce secteur-là s’est construit un peu en creux.

Et du coup, les formats ont du mal encore à vraiment y trouver tellement leur place, bien qu’ils continuent ce secteur-là, à se développer et les explorations continuent en permanence.

Et moi, je trouve ça très chouette qu’on continue à élargir le spectre de la création artistique en permanence.

Néanmoins, il faut qu’il soit jalonné de formats qui s’ancrent dans les pratiques, sinon c’est très éphémère.

Et pour moi, c’est l’étape d’après et celle qu’il faut qu’on écrive ensemble, collectivement, dans les coopérations.

Même le fait qu’ils travaillent depuis que ce soit l’origine.

Comment est-ce qu’on structure un réseau d’acteurs ?

Comment est-ce qu’on discute de ces sujets-là ?

Comment est-ce qu’on pose nos propres consciences ?

Comment est-ce qu’on travaille ?

Pour que ce ne soit plus un sujet en creux, mais un sujet en blanc.

Anne

Effectivement, on voit des communautés qui émergent sur ces questions.

Le réseau actif, le réseau TML à un autre endroit, les communautés autour de SVSN, aussi les rencontres à Avignon, qui ont besoin de tisser des liens entre elles également.

Et dans le champ, justement, des arts vivants, on voit aussi une différence entre disciplines.

On a beaucoup parlé du théâtre, genre, évidemment.

On a montré des événements sur la danse.

Dans la danse, il y a des mouvements, des études aussi, des formats de danse, notamment numérique, très présents.

Est-ce que, justement, Jean, dans le champ du théâtre, tu observes une structuration à cet endroit ?

Ou est-ce que tu trouves plutôt ailleurs tes endroits de communauté et de travail ?

Jean

Il y a des tentatives, en tout cas, de structuration.

Là, par exemple, il y a l’expérience des Dômes.

Je sais que Frédéric Delia est dans la salle.

Je sais qu’il a fait une création sur Dômes.

Il y a une tentative de créer un réseau de Dômes, à la fois pour des histoires sonores, visuelles, mais aussi, Frédéric, théâtrale.

C’est un format qui, visiblement, trouve un écho, parce qu’il rebondit sur les…

On va appeler ça les Enfants qui regardent les étoiles, et qu’il y a tout un réseau de ces lieux-là.

La question de ces…

Je sais que Joris Mathieu, avec ses lunettes…

Enfin, c’est pas des ses lunettes, mais les lunettes de Réalité Augmentée, qui essaient, lui aussi, de structurer un réseau, cette fois-ci, avec des investissements technologiques, parce que ce sont de très gros investissements technologiques.

Inversement, je sais qu’il y a des plateformes qui se cassent la gueule, parce qu’économiquement, ils ne tiennent pas.

Souvent, dans le spectacle vivant et numérique, on a des petites jauges.

Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui ont entrepris cette problématique, d’essayer de passer le seuil des cendres de la petite salle, d’essayer de trouver des formes qui vont là-dedans.

Et c’est vrai que c’est un enjeu majeur, ça, pour nous.

On doit continuer à y arriver.

Je sais, puisqu’elle est aussi dans la salle, M. Duval-Roy a inventé…

Enfin, je ne sais pas si c’est toi qui l’as inventé, mais en tout cas, il y a plein de gens sur le Nürburgring volant, c’est-à-dire une sorte de sitcom en direct, qui, pour moi, est du théâtre filmé.

Mais c’est un format qui va continuer d’exister sur la plateforme d’Arte.

Alors, ils sont dans cette recherche de nouveaux formats, mais visiblement, qu’ils soient sur un deuxième opus, il y a quand même l’idée de stabiliser quelque chose.

Voilà, deux ou trois petits exemples qui me viennent immédiatement à l’esprit.

Anne

En tout cas, on voit des questionnements sur la forme des lieux et le lieu du spectacle vivant, qui est en fait une question, encore une fois, archaïque, je le disais tout à l’heure, avec la question des murs, etc., et qui vient se reposer.

Et en même temps, le lieu de spectacle vivant qui devient aussi le lieu d’accueil d’autres formes, on voit aujourd’hui beaucoup de lieux qui ont déjà s’éteint leur programmation.

J’aimerais revenir à une question qui a été évoquée en début, c’est la question de la figure du hacker.

Parce qu’effectivement, autour aussi de ces environnements numériques, on a discuté de leur nature, de leur propriété aussi, propriétaire d’ailleurs plutôt, de ces technologies qui sont façonnées pour que nous n’ayons pas besoin de les comprendre et de les manipuler.

Et donc, de cette histoire des hackers qui est historique dans l’architecture numérique, mais qui aussi existe dans le champ de la création, comment aujourd’hui vous voyez émerger ces figures ?

Qu’est-ce qu’elles nous ont comme perspectives ?

Est-ce que vous avez des exemples justement du hacker, du hacking, qui nous permettent de venir un peu questionner nos sujets ?

Samuel

Pour moi, l’intrinsèque, j’ai un exemple qui me vient en tête à retour d’expérience plutôt, je vous disais pour bien la rencontre entre l’image et le son, les live audiovisuels ont été une forme qui dure beaucoup dans le temps.

Pour moi, c’est pas une question d’excellence, mais du coup, dans les années 2000, il y avait ce qui est intégré dans le machine aujourd’hui.

En discutant avec différents artistes qui ont cette pratique-là, la première pratique qu’ils ont travaillée, c’est que tous les vidéoprojecteurs qu’ils utilisaient pour détourner le matériel, quand on allume le vidéoprojecteur, il y a la marque du vidéoprojecteur qui s’affiche, et souvent elle était un peu là, donc il a fallu rentrer dans le code du vidéoprojecteur pour se dire comment est-ce que je fais quand ça s’allume, et puis la marque, parce que j’essaie du pas au pied du tout, parce que la marque, c’est bon, voilà la marque du vidéoprojecteur, et donc du coup, pour que la forme puisse exister, il faut déjà passer par le code rentré dans la machine, je parle d’un vidéoprojecteur, donc c’est a priori pas utile de se dire qu’il faut détourner ça, pourtant si.

Donc moi j’ai l’impression que c’est intrinsèque à la pratique même.

Jean

Chez les gens qui se mettent là-dedans, je pense que le terme hacking, peut-être qu’on pourrait le traduire plus par bricolage, et ça enlève la dimension, effectivement, un peu très contemporaine de rentrer dans les codes de propriétés privées, les éditeurs et tous ces droits d’industriels et de leur entrée en FCA qui sont compliqués à gérer, mais c’est quand même quelque chose qui nous est familier, cette affaire-là.

Et je voudrais citer le travail d’un artiste que j’aime beaucoup qui s’appelle Andrew Hampton, qui détourne, lui, l’usage du laptop en utilisant cette technologie fermée, vissée, en utilisant l’écran, en posant simplement une feuille A4 sur l’écran, et avec un crayon, en faisant promener sur l’écran un petit point, et la feuille A4, du coup, on voit par transparence le petit point, et avec un crayon, tu dessines.

C’est le genre de choses très décaçonnées, c’est pas du tout fait pour ça, un laptop, qui va mettre un crayon, une pointe, sur l’écran, c’est dangereux, et néanmoins, ça fait une œuvre formidable, relayée par un podcast, par un enregistrement sonore, où, brutalement, sous ton dessin, vient, petit à petit, des lignes, qui déclarent une figure, et c’est l’histoire de cette figure.

On pourrait en citer plein.

Nous, on a fait tout un travail sur les smartphones.

Les smartphones sont des téléphones, à la base.

C’est fait pour avoir accès au réseau, c’est fait pour avoir…

Nous, on les a utilisés comme des prompteurs.

Ce détournement-là, je crois que c’est le propre des artistes de pousser les limites des objets tels qu’ils nous sont fournis, de les détourner, donc de les hacker, de les pirater pour leur inventer un nouvel usage.

Et je crois même que c’est cette résistance-là, enfin, je sais que sans être trop intellectuel, beaucoup de…

Le point de départ de notre création, c’est justement ce détournement-là des objets qui vont nous amener vers d’autres formes.

Je pense que c’est vraiment traditionnel, au spectacle vivant, il y a la création, il y a la notion de lacking.

Ça devient plus compliqué maintenant, donc ça va nécessiter de nouvelles collaborations, notamment avec des programmeurs.

Dans Villa-Mosella, on va essayer de faire se rencontrer, justement, des auteurs avec des programmeurs pour inventer des formes narratives, dramatiques, qu’on puisse associer les deux.

Mais voilà, j’aime bien l’exemple de Hampton, parce qu’il est très simple, il est très artisanal, il est très Bécasson, il est très Lofi.

Samuel

Et pour autant, il est fondamental et souvent on se pose la question, on nous pose la question, qu’est-ce que c’est que cette façon d’avoir un numérique ?

On ne comprend rien quand même.

Et moi, je pense que c’est justement celle qui est à l’esprit-là.

On peut retrouver aussi bien chez, encore une fois, des artistes qui font des pratiques très ancrées dans une discipline, et ça n’empêche rien, et la forme qu’ils ont ressortie n’est pas forcément très high-tech, je viens de l’exposer parfaitement, mais pour autant, cette logique-là de la relation entre le parallèle de ce qu’on racontait sur l’outil ou le sujet du numérique, c’est les deux en fait.

C’est à la fois l’outil et le sujet, et c’est comment est-ce qu’on transforme, comment est-ce qu’on change la perspective, et ça c’est intrinsèquement la proposition de l’artiste, du coup, de nous faire changer un peu de regard ou de perspective sur le sujet qu’il a envie de travailler.

Un autre exemple, pour le plaisir, mais le même artiste que je vous ai cité tout à l’heure, dans la poursuite de son parcours, donc c’est sur les médias, c’est publicité, dans la poursuite de son parcours de création, aujourd’hui, il en a à se dire, mais comment je me passe ?

Je fais de la vidéoprojection, comment je me passe l’écran ?

Comment est-ce que je vais trouver d’autres formats ?

Comment est-ce que ça paraît, a priori, impossible de dire que j’ai un vidéoprojecteur, je veux le projeter, j’ai besoin de projeter sur quelque chose, comment je projette sur l’écran ?

Comment est-ce que je fais apparaître des images, etc.

Et c’est en se posant ces questions un peu absurdes, en tout cas c’est en ayant cette espèce de particulier que on arrive à cet endroit, la création d’un numérique.

Pour moi, c’est l’un des des nœuds, en tout cas, qui lie l’ensemble de ce secteur.

Anne

En tout cas, c’est intéressant, ça me fait penser aussi à, justement, je citais ce matin l’ouvrage auquel Marion Cossin a contribué, qui vient sortir sur le guide d’intégration de technologie numérique dans le spectacle vivant, et dans cet ouvrage, il est écrit qu’il faut se rappeler la question de l’illusion dans le spectacle vivant, et qu’en fait, la technologie, elle vient à un moment, mais parfois, on va tout détourner et faire semblant, et c’est le propre aussi de ce bricolage, et peut-être ça vient lié aussi à la question de Hacking, d’une certaine manière.

Je pense aussi au travail de Lili Berthier qui, justement, interroge le côté temps réel autour de la VR dans son spectacle, et en même temps, du coup, va tricher avec les artifices du théâtre pour pouvoir travailler sans être dans cette espèce de course à la technologie qui nous est imposée.

Donc, effectivement, les espaces de création sont aussi des espaces qui permettent de faire un pas de côté sur ces questions.

Et à quel endroit, par exemple, en tant qu’institution, ça peut être aussi un endroit de discussion avec les publics ?

Alors, évidemment, l’œuvre elle-même naît, parce qu’un spectateur ou une spectatrice qui va assister, voire découvrir une œuvre où ces questionnements ont lieu va potentiellement aussi être interrogé à son endroit de ses usages, mais peut-être aussi comment ça se décline plus largement dans la relation publique, et le rôle de médiation peut-être un rôle d’action culturelle.

Est-ce qu’il y a des exemples dont on peut vous parler, ou des réflexions en cours sur ce sujet ?

Samuel

Nous, on passe beaucoup par la pratique, par faire pratiquer les publics ces pratiques-là, et faire toucher cet état d’esprit, c’est-à-dire comment est-ce qu’on les tourne, comment est-ce qu’on acte, et finalement, parce que c’est la pratique artistique, quelque soit l’artiste qui pratique, et je trouve que là, pour le coup, en creux, ça vient instiller aussi les questions un peu de… comme on a parlé tout à l’heure sur rendre moins transparent la technologie.

Là, on est bien obligé de se poser la question de ce que c’est, comment ça marche, à quoi ça sert, et du coup, quand on le détourne, on se dit qu’on prend conscience de tout ça.

Donc, j’y vois une petite dimension citoyenne aussi dans ce travail-là, même si pour le départ, l’objectif reste la rencontre avec une pratique artistique, une œuvre, et le faire.

Et ça, du coup, ça dépassionne beaucoup, en tout cas, ça relève beaucoup du privilège qu’on a sur soi, de ce que ça pratique nos… nos publics, qui nous disent que c’est pas pour eux.

Notamment un verbe-là dans les EHPAD, où, forcément, c’est cette génération-là qui n’est pas née avec toutes ces technologies-là, elles s’en sont souvent assez dépassées, au bout de manière, pas toujours, mais souvent quand même.

Et en tout cas, quand on leur dit qu’on va faire un projet de création d’environnement numérique avec des artistes qui ont des pratiques assez hybrides et a priori très loin de ce que l’on connaisse, ils disent « Ah, bon, voilà ».

On les dit à eux-mêmes, mais parce qu’on les fait pratiquer, finalement, c’est toute notre… on essaie de savoir de mettre ça en pratique, mais c’est notre approche, en tout cas.

Jean

Moi, je voudrais juste prendre l’exemple d’un format qu’on a inventé au sein du Nouveau Décaméron, qui s’appelle « Le théâtre prêt à jouer », et qui, justement, fait plus le distinguo entre action artistique et œuvre d’art.

Et j’ai trouvé…

Enfin, c’est venu comme ça.

C’est un format qui propose, grâce à un smartphone, à des gens plus ou moins éloignés de la pratique théâtrale, d’avoir une expérience d’acteur ou d’actrice complète, dans une scénographie, avec des accessoires, de la lumière, du son, quelque chose de très léger, d’avoir une expression, une expérience complète, sans avoir à réfléchir.

Et c’est assez étonnant.

Et je trouve que c’est aussi ce que permet le numérique dans sa dimension interactive, participative, c’est justement de, très rapidement, d’avoir un changement de perspective et d’usage qui fait que ces gens sortent de là avec une expérience vraiment du théâtre.

C’est-à-dire, sans savoir ce qu’ils allaient faire, ils découvrent l’histoire en la jouant, ils ont une expérience d’acteur et d’actrice parce qu’on leur dit, fais telle chose, lance tel truc, ce sont des sortes de propositions.

Et, ben, voilà, ça imprime assez fortement les choses.

C’est une expérience qu’on a envie de prolonger et qui ne serait pas possible peut-être sans le numérique.

Anne

En tout cas, on voit ce déplacement pour des rôles, des rôles de l’artiste, du rôle du public, de l’institution, autour de ces rôles entre spectateur et joueur.

Alors, cette question de l’interactivité, encore une fois, elle est là depuis longtemps.

Il y a quelque chose qui se construit, qui se cristallise.

Je ferai référence au travail d’Isabella Pluta qui intervient demain dans une table sur la question du public dans ces environnements numériques qui fait le parallèle avec la question du gaming qu’on a vu ce matin.

Il y a des frontières à ces endroits qui sont probablement intéressantes à explorer.

Ce sera peut-être un des derniers échanges avant de poser la question au public.

Sur cette lisière avec le jeu, la notion de jeu, comment elle vient ?

Qu’est-ce qu’elle est pour vous ?

Où est-ce que vous la voyez advenir ?

Jean

Sur la question du jeu, c’est la nouvelle porte que je vais pousser à bientôt.

D’abord parce que je considère que le théâtre est avant tout un jeu, donc ce n’est pas dénaturé.

J’ai le droit de revendiquer que c’est encore une grande figure qui était ici, qui était Vitesse, que le théâtre est avant tout un jeu. C’est peut-être à dire, mais une fois qu’on dit ça, on démocratise beaucoup de choses.

Et la seconde chose, c’est pour revenir à un sujet qu’on a abordé tout à l’heure, c’est comment on doit laisser rentrer dans nos institutions des nouvelles pop-cultures.

Je découvre le gaming, je découvre le e-game, c’est-à-dire je découvre ces compétitions, je découvre cette position absurde, absurde mais extraordinaire, qu’un joueur qui refuse, l’idée d’être dans un jeu vidéo, c’est d’être actif, et puis brutalement, avec le temps, on voit grâce à des plateformes comme Twitch, des gens qui sortent de l’action de jouer pour redevenir spectateurs autrement.

Donc là, il y a quelque chose, il y a un champ tout à fait passionnant, et en plus, c’est massif, ça touche énormément de monde.

En tout cas, je pense que ce serait intéressant d’ouvrir nos maisons à ce type d’expérience.

Samuel

Le vie est formidable.

Forcément, de passer par le jeu et là aussi, de détourner ces formats-là, nous, on y prend malin plaisir avec les artistes avec lesquels on travaille.

C’est encore le cas, on a une création en cours d’un artiste qui s’appelle Guillaumine, c’est un artiste visuel qu’on a associé avec un studio de jeux vidéo à Rennes, et sa prochaine création sera à la fois plastique, donc une forme assez convenue d’affiches, et qui vont être activables après avoir été augmentées, et qui déclenchent des mini-jeux.

Là aussi, pareil, quand on parlait de pratiques ou d’usages massifs, si je reviens à ce qu’on se disait sur la possession de smartphones, il y a une très grande majorité de gens qui sont joueurs, qui sont joueurs de jeux vidéo, dans des formes très diverses, là aussi, tout le monde ne joue pas sur Fortnite toute la nuit, mais potentiellement, dans le train, il y a encore des gens qui jouent aux solitaires, qui ont des jeux, mais qui jouent à des jeux sur smartphones, et du coup, c’est là aussi, il y a un usage, et on se dit que nous, il y a quelque chose à hacker potentiellement, pour rien souffler, nos pratiques, c’est de détourner l’usage.