Felix POULLET PAGES : Peux-tu revenir sur ton parcours et comment tu as rejoint le travail de création sur L’Arbre de Mia ?
Perceval : Je travaille avec Jean depuis le début, principalement en régie. Avec l’arrivée du Covid, on a voulu explorer les lectures augmentées en visioconférence via Zoom. Comme on était cloisonnés, j’ai pris en charge l’organisation. J’ai rapidement créé un visuel et appris à utiliser OBS pour structurer les diffusions. Chaque participant était à distance : certains dans les Vosges, d’autres ailleurs.
On a testé différents dispositifs : plans caméra individuels, vue d’ensemble. On a constaté que cela fonctionnait bien et attirait du monde. Jean a alors développé l’idée avec Jacques et les auteurs. Ensuite, on a organisé des tests techniques à Vitry-le-François avec Jacques, Laurent et Jean pour évaluer le son, les interactions, et les possibilités de mouvement via Kinect.
On a d’abord envisagé d’utiliser des tablettes, mais on a finalement opté pour des téléphones, plus pratiques. Mon rôle était de superviser Jacques, l’installation du matériel, et l’organisation technique. Je ne suis pas programmeur, mais j’ai des bases en Max MSP et une bonne connaissance de logiciels comme Ableton Live et DaVinci Resolve. Je gérais la scénographie, la lumière et le son.
Pour L’Arbre de Mia, nous n’avions pas de budget pour une création lumière. C’était avant tout un laboratoire de recherche. J’ai pris en charge la création sonore, avec un dispositif d’enceintes entourant le public pour recréer des univers immersifs. Les auteurs avaient déjà identifié certains sons et musiques à inclure, comme des ambiances extérieures.
On a ensuite testé une diffusion au casque, mais cela posait des problèmes dramaturgiques : les comédiens étaient proches les uns des autres, et le casque ne permettait pas une expérience fluide. L’amplification des voix modifiait leur interprétation, les forçant à poser différemment leur voix. De plus, entendre sa propre voix dans un casque peut être troublant.
Nous avons aussi testé une solution où les comédiens n’entendaient pas leur propre voix mais seulement celles des autres, mais la latence était trop problématique. Installer des casques filaires pour tous aurait été trop complexe. Finalement, avec Mathieu, nous avons décidé que ce dispositif ne convenait pas à L’Arbre de Mia, et nous l’avons plutôt développé pour Artefact, un autre projet à Reims.
Felix POULLET PAGES : Tu mentionnais que le texte est arrivé progressivement ?
Perceval : Oui, les actes sont venus à des moments différents : d’abord l’acte I et II, puis des ajustements sur le premier, et enfin l’acte III. Chaque laboratoire de recherche durait une semaine, avec une journée pour installer et une demi-journée pour démonter, ce qui nous laissait peu de temps en présentiel pour avancer.
Perceval : La scène est praticable, mais j’ai toujours une inquiétude, notamment pour les gradins et l’espace où évolue la comédienne.
Félix Poullet Pages : D’accord.
Perceval : On avait d’abord envisagé une voix enregistrée pour toute la performance, avec Estelle uniquement pour l’enregistrement. Mais lors des laboratoires, on a vite compris que la présence physique du comédien était indispensable. Il fallait une présence humaine pour rassurer et éviter une dématérialisation totale.
Félix Poullet Pages : Oui, cela fait consensus.
Perceval : Ce qui était intéressant, c’est qu’on a travaillé de manière horizontale. Chacun pouvait s’exprimer librement. Même en tant que régisseur, mon avis était pris en compte. On a trouvé des solutions ensemble, et tout s’est bien déroulé.
Félix Poullet Pages : Vous aviez des temps dédiés aux retours et ajustements ?
Perceval : Oui, après chaque journée et après les tests, avec aussi un échange avec le public. Ensuite, on faisait un dernier débrief entre nous pour ajuster des éléments rapidement. À la fin de la semaine, Jean transmettait nos retours aux auteurs. On s’est parfois permis de faire des coupes sans leur en parler au début, quand on voyait que certaines parties étaient trop lourdes ou inefficaces.
Félix Poullet Pages : Les auteurs n’étaient pas présents durant les phases de laboratoire ?
Perceval : Non, et c’est ce qui nous a manqué. Ils n’étaient pas là à chaque session, non pas par manque de volonté ou de financement, mais par contraintes d’agenda. Du coup, certaines décisions ont pris trop de temps. Si les auteurs avaient été là, certaines modifications auraient été actées immédiatement.
Félix Poullet Pages : Il y avait un document partagé en ligne pour suivre les évolutions du texte ?
Perceval : Pas au départ, mais rapidement, un texte partagé est apparu. Cependant, tout le monde ne le consultait pas régulièrement. Ce n’était pas vraiment un outil d’échange.
Félix Poullet Pages : Donc Jean jouait un rôle central entre les auteurs, la partie technique et la création au plateau ?
Perceval : Oui. Mais il y avait aussi un problème d’organisation : les phases techniques prenaient du temps, et cela retardait les essais scéniques. On devait absolument mieux structurer le planning.
Félix Poullet Pages : Tu suggères quoi pour la prochaine fois ?
Perceval : Prévoir un temps de montage bien distinct, un temps d’échange global avant les tests, puis une phase purement technique où l’équipe n’est pas sous pression. Une fois tout prêt, on passe aux essais avec les metteurs en scène et les comédiens.
Félix Poullet Pages : D’accord. Et techniquement, vous avez utilisé Ableton Live ?
Perceval : Oui, c’est un outil efficace pour la régie son. Il peut aussi bien fonctionner avec le dispositif de Maxime tant qu’on utilise une commande OSC.
Félix Poullet Pages : L’autonomie de chaque poste est essentielle.
Perceval : Exactement. Il faut aussi garder un codage clair des scènes. Par exemple, avec Ableton, je peux ajouter des notes sur chaque événement, ce qui permet une meilleure organisation.
Félix Poullet Pages : J’ai une autre question. Comment envisages-tu la transmission du format ? L’idée que ce projet de théâtre via smartphone puisse être repris par d’autres équipes ?
Perceval : J’aimerais un modèle open-source. Puisque c’est un projet financé par des fonds publics, il me semble normal qu’il soit accessible. Ce qui m’inquiète, c’est que Maxime pourrait vouloir en faire un modèle commercial.
Félix Poullet Pages : Tu crains une privatisation ?
Perceval : Oui. Même si Jean envisageait un modèle payant pour un usage domestique, je pense qu’il faut garder le projet ouvert. Sinon, cela reviendrait à refaire financer par des fonds publics des recherches déjà menées.
Félix Poullet Pages : Je comprends. Mais faudrait-il un cadre pour éviter des détournements commerciaux ?
Perceval : Oui, il faudrait un droit de regard pour que notre travail ne soit pas exploité à des fins purement lucratives. Il faut que le projet reste accessible, avec une mention de notre travail initial, sans empêcher des usages innovants.
Félix Poullet Pages : Je partage cette vision d’ouverture.