Félix Pagès : Au début, il y avait cette idée d’utiliser des casques avec ton dispositif de spatialisation sonore, mais finalement, le projet a évolué dans une autre direction. À la base, c’était Jacques qui était au cœur de cette création, non ?
Mathieu Chamagne : Oui, ils avaient commencé à travailler là-dessus avant même que je rencontre Jean. L’idée du « théâtre prêt à jouer » était déjà en développement. Nous nous sommes rencontrés plus tard, et il s’est montré très emballé par le dispositif sonore que je développais. Il voulait voir comment il pouvait s’intégrer dans leur projet.
FPP : La création s’est étalée sur deux ans environ ?
MC : Oui, je crois. Il y a eu des résidences, mais mes interventions étaient ponctuelles. J’étais présent un ou deux jours à chaque fois, avec un maximum de quatre jours sur une période donnée. Cela nous a permis d’affiner le dispositif sonore. À l’origine, nous avions même acheté des casques en pensant qu’ils seraient au centre du projet.
FPP : Mais lorsque vous avez testé le dispositif en conditions réelles, vous avez réalisé qu’il compliquait les interactions ?
MC : Exactement. L’objectif principal était que les comédiens puissent se parler et interagir. Or, parler à travers un micro avec une spatialisation sonore créait une distance artificielle. Cela ajoutait une couche technologique qui devenait un obstacle plus qu’un atout. Il y avait déjà assez d’éléments à gérer : les téléphones, le texte, la mise en scène…
FPP : Avec Artefact, l’objectif était justement de détourner ton dispositif initialement conçu pour une expérience sonore pure vers une narration plus immersive. Comment as-tu vécu cette appropriation par d’autres artistes ?
MC : Cela s’inscrivait dans ma démarche d’exploration. J’aime développer des interfaces et des instruments qui peuvent être utilisés dans différents contextes artistiques. L’ajout du texte et de la narration apportait une nouvelle dimension, ce que je trouvais intéressant. Mais ce n’est pas forcément là où j’aurais naturellement amené le dispositif.
FPP : Il y a aussi cette question de l’autonomie du dispositif. On avait évoqué l’idée d’un format plus indépendant, sans présence technique permanente. Aujourd’hui, Artefact nécessite encore un accompagnement. Penses-tu qu’une version plus autonome soit possible ?
MC : Oui, nous en avons souvent parlé avec Jean. Ce serait une autre approche, où l’installation fonctionnerait de manière presque autonome. Cela éviterait le besoin constant d’une équipe technique et permettrait une diffusion plus large. Mais cela pose des défis : comment rendre l’expérience fluide sans encadrement ? Une installation autonome pourrait fonctionner sur de courtes sessions, avec un médiateur pour surveiller et gérer la maintenance technique.
FPP : Jean souhaitait aussi augmenter la jauge de spectateurs et passer de 4 à 10 ou 15 joueurs. Est-ce techniquement faisable ?
MC : Pas avec la spatialisation sonore et les casques actuels. Chaque casque supplémentaire augmente la charge sur le système. On est déjà à la limite des ressources disponibles. En revanche, sur un dispositif plus simple basé uniquement sur les smartphones, il n’y aurait pas de contrainte technique majeure. Le vrai défi serait l’écriture : gérer des interactions pour 20 personnes, c’est un casse-tête scénaristique.
FPP : Dans le projet, le dispositif et l’œuvre semblent avoir grandi ensemble. Comment envisages-tu la possibilité que d’autres artistes s’emparent de cette technologie ?
MC : Honnêtement, je suis sceptique quant à l’idée de transformer ce dispositif en outil générique immédiatement exploitable par d’autres équipes. Développer quelque chose qui soit réellement adaptable nécessite beaucoup d’itérations et de travail en amont. Ce n’est pas aussi simple que de créer un mode d’emploi et de le distribuer.
FPP : Tu ne cherches donc pas forcément à donner une seconde vie au dispositif indépendamment de l’œuvre ?
MC : Non, cela ne me dérange pas qu’un dispositif naisse avec une œuvre et ne soit pas réutilisé ailleurs. J’ai souvent vu des outils spécifiques créés pour un projet précis, qui ne trouvent pas forcément d’usage ultérieur. Cela ne signifie pas que le travail est perdu. Parfois, des fragments sont réutilisés dans d’autres contextes, mais il faut un accompagnement technique important.
FPP : Tu as participé à des projets de recherche comme Jamoma et Ossia, qui visaient justement à développer des outils réutilisables. Comment cela s’est-il passé ?
MC : Ce type de projet est extrêmement complexe. Développer un outil universel demande des années de travail et une adaptation constante. Nous avons vu, avec Jamoma et Ossia, qu’une fois que l’outil était mis entre les mains des utilisateurs, de nouvelles demandes apparaissaient constamment. Même avec un projet pensé dès le départ pour être transmissible, cela reste très difficile à stabiliser.
FPP : Dans Artefact, l’écriture a été plus rapide que dans d’autres projets comme L’Arbre de Mia. Cela a-t-il changé la dynamique ?
MC : Oui, Artefact s’est fait en quelques mois, dans un cadre plus structuré avec une deadline imposée. L’écriture a été influencée par le fait que le dispositif était déjà fonctionnel, ce qui a simplifié l’adaptation. À l’inverse, dans L’Arbre de Mia, les auteurs ont écrit sans vraiment voir le dispositif, ce qui a entraîné de nombreux allers-retours et ajustements.
FPP : Quel a été ton rapport avec les auteurs dans ces projets ?
MC : Pour L’Arbre de Mia, j’ai eu peu de contact direct avec eux. Pour Artefact, nous avons travaillé plus étroitement. Il a fallu du temps pour qu’ils comprennent pleinement les contraintes et possibilités du dispositif. Les premiers textes écrits n’étaient pas toujours bien adaptés, ce qui a nécessité plusieurs ajustements. Il y avait une vraie collaboration entre technique et écriture.